CHRONIQUE | HERITAGE ET GOUVERNANCE LOCALE : DYNAMIQUES AFRICAINES
Par M. Tristan Routier, Expert en décentralisation et patrimoine culturel en Afrique
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La Décentralisation et la Sauvegarde des Sites Inscrits au Patrimoine Mondial de l’UNESCO : Enjeux, Exemples et Perspectives
Introduction
La préservation des sites inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO constitue un enjeu universel, tant pour la conservation des biens culturels et naturels que pour le maintien de la diversité et de l’identité des territoires. En juillet 2025, la liste du patrimoine mondial compte 1 248 sites répartis dans 170 pays, chacun reconnu pour sa valeur universelle exceptionnelle[1]. Ces sites sont les porteurs d’un patrimoine collectif qui transcende les frontières nationales, et leur sauvegarde s’inscrit dans une responsabilité partagée à l’échelle mondiale. Cependant, cette préservation s’opère de plus en plus dans un contexte de décentralisation, où les collectivités locales, en première ligne face aux défis quotidiens, jouent un rôle décisif dans la gestion et la valorisation de ces trésors.
La décentralisation, en transférant certaines compétences de l’État central vers les autorités locales, transforme les modèles de gouvernance patrimoniale. Elle vise à rapprocher les processus de décision des réalités locales, à renforcer la participation communautaire et à garantir une gestion plus efficace et adaptée. Dans ce cadre, les collectivités locales sont investies d’un rôle stratégique qui nécessite à la fois des moyens accrus et une expertise technique pour répondre aux enjeux de conservation, tout en tenant compte des aspirations de développement local.
Toutefois, la gestion des sites classés implique de naviguer entre des impératifs parfois contradictoires : respecter les réglementations internationales définies par la Convention de 1972 de l’UNESCO[2] tout en s’adaptant aux réalités socio-économiques et culturelles des territoires. Ces contraintes imposent aux acteurs locaux une gestion équilibrée, qui doit à la fois préserver l’intégrité et l’authenticité des sites tout en intégrant les besoins des populations locales, qu’il s’agisse de développement touristique, de création d’emplois ou d’aménagement du territoire.
Ainsi, cet article propose d’examiner les responsabilités croissantes des autorités locales dans la préservation des sites classés, en analysant les contraintes et défis liés à l’adaptation des réglementations internationales au niveau local. Il s’agira également d’explorer, à travers des exemples concrets et récents, les solutions possibles pour favoriser une gouvernance décentralisée capable de concilier préservation patrimoniale et développement durable.
Décentralisation et Responsabilités Croissantes des Autorités Locales
La décentralisation confère aux collectivités locales un rôle essentiel dans la préservation des sites inscrits au patrimoine mondial. En transférant certaines compétences aux échelons locaux, les gouvernements permettent une gestion de proximité plus adaptée aux besoins spécifiques des territoires. Les autorités locales deviennent responsables de l’élaboration de plans d’urbanisme, de la régulation des activités sur les sites patrimoniaux et de la promotion d’initiatives de conservation. Ces responsabilités, cependant, varient en fonction des cadres législatifs et institutionnels de chaque pays, influençant directement la portée des interventions locales.
Le cas des palais royaux d’Abomey au Bénin, inscrits au patrimoine mondial en 1985, illustre cette dynamique. Face à une dégradation importante, une collaboration multi-niveaux a été mise en place. Le plan de gestion transitoire 2025-2026 prévoit des travaux de restauration majeurs, avec une première phase de réhabilitation de quatre palais (Ghezo, Glélé, Béhanzin et Agoli Agbo) et une seconde phase en 2026 pour les six autres[3]. Ce projet est soutenu par des financements internationaux significatifs, incluant 450 000 USD du Japon et de la Norvège. Un accord a été signé entre les autorités locales, l’Agence Nationale du Patrimoine Touristique (ANPT) et l’Agence du Tourisme du Bénin pour mobiliser les familles royales et les populations locales, démontrant le rôle de catalyseur des municipalités[4].
La gestion participative est une composante clé de cette approche. En impliquant les populations dans les processus de prise de décision, les autorités locales renforcent l’appropriation communautaire des projets patrimoniaux. Au Botswana, le site des collines de Tsodilo est géré selon un modèle communautaire où les revenus touristiques, estimés à 200 000 dollars par an, sont réinvestis dans la préservation du site et le soutien aux activités économiques locales.
[1] UNESCO. (2025, 17 juillet). UNESCO World Heritage: 26 new sites inscribed. https://www.unesco.org/en/articles/unesco-world-heritage-26-new-sites-inscribed-0
[2] UNESCO. (1972). Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel. https://whc.unesco.org/en/conventiontext/
[3] UNESCO. (2025). State of Conservation: Royal Palaces of Abomey. https://whc.unesco.org/en/soc/4714
[4] UNESCO. (2025). Ibid

